/ Mis à jour le

La corruption de fonctionnaires étrangers : c’est aussi un crime au Canada

La corruption d’officiers publics fait la manchette au Québec, mais il faut aussi savoir que bien que ce phénomène soit vastement répandu à l’étranger, les lois anti-corruption que nombre de pays ont adoptées ou encore sont à moderniser donnent des dents non seulement à l’étranger, mais dans le pays d’origine.

Au Canada, la Loi sur la corruption des agents publics étrangers, loi fédérale en place depuis 1998 et découlant de la signature de conventions internationales par le Canada, vient d’être modifiée le 19 juin 2013 pour conférer encore plus de pouvoirs aux autorités canadiennes de sévir, élargir ce qui constitue un acte de corruption d’agents publics étrangers et prévoir des sanctions plus sévères.

Lors de son adoption de l’époque, plusieurs estimaient que le Canada avait certes des intentions louables d’assainir la scène internationale, mais que la réalité terrain était toute autre. Certains prétendaient que cette loi risquait même de compromettre la compétitivité des entreprises canadiennes sur les marchés étrangers, où les concurrents d’autres pays considèrent la corruption d’agents étrangers comme une manière normale et acceptable de faire des affaires dans le cadre des activités commerciales.

Cette loi, il faut l’avouer, n’a reçu que peu d’application dans les faits jusqu’à récemment, entrainant peu de condamnation. Mais voilà, tel n’est plus le cas et les autorités canadiennes (GRC) s’attaquent à ce phénomène de façon beaucoup plus agressive. Les USA et l’Europe, notamment, ont eux-aussi emboité le pas. Des condamnations ont fait la une des journaux. Le message est clair : pas de corruption ici, pas plus qu’à l’étranger!

Les nouveaux amendements à la loi canadienne apportent certains changements, dont en voici certains d’intérêt pour les entreprises.

La GRC sera dorénavant chargée d’intenter des poursuites ici, au Canada, contre les canadiens, pour des actes de corruption transnationaux, donc faits à l’étranger.

Les entreprises canadiennes, tout comme leur dirigeants et employés, ne peuvent plus se cacher derrière leurs agents ou employés, en ce que les « pots-de-vin » indirects seront dorénavant couverts. Les entreprises ne pourront donc plus simplement tourner la tête et fermer les yeux, en sachant que leurs agents, employés, partenaires, sous-traitants, voire même avocats ou autres conseillers peu scrupuleux, utilisent ces pratiques.

Deviennent aussi des gestes illégaux non seulement la commission de l’infraction elle-même, mais le complot en vue de commettre l’infraction, la tentative, la complicité après le fait et le fait d’en conseiller la perpétration.

La falsification de documents ou de livres dans le but de cacher des actes de corruption d’officiers publics étrangers devient aussi une infraction criminelle (fausses factures, états financiers et bilans occultes, etc.), tout comme la destruction de ceux-ci dans certaines circonstances.

La preuve à faire dans le cadre d’une mise en accusation par la GRC sera facilitée, puisqu’il n’y plus nécessaire de démontrer qu’il y a un « lien réel et substantiel » entre l’infraction commise et le territoire canadien. La loi vise les citoyens et résidents permanents du Canada et les organisations (sociétés, compagnies, etc.) constituées au Canada en vertu de la loi fédérale ou celle d’une province. La compagnie mère canadienne pourra donc difficilement se cacher dernière le mur corporatif, en présence de corruption pratiquée par ses sociétés affiliées, que des canadiens soient effectivement impliqués ou non.

Les entreprises à but non-lucratif sont aussi dorénavant visées. 

Et attention, les infractions sont passibles de peines sévères, dont des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 14 ans, alors qu’elles étaient de 5 ans sous le texte antérieur de la loi!

Une seule disposition n’est pas entrée en vigueur le 19 juin 2013 et le sera à une date ultérieure déterminée par décret. En vertu de celle-ci, il deviendra illégal de payer de petites enveloppes de « facilitation » à un agent public étranger, visant à accélérer ou garantir l’exécution d’actes de nature courante qui font déjà partie de ses fonctions. Jusqu’à maintenant, un « petit 20 $ ou 100 $ » pour débloquer un colis ou un chargement aux douanes du pays de livraison ou encore pour obtenir le traitement d’un document plus rapidement auprès d’une ville ou d’un ministère étranger, étaient des situations non visées par la loi, qui tentait de s’attaquer à la « grande » corruption. Mais les amendements à la loi visent à décourager un comportement internationalement endémique, à changer les façons de faire. Cette disposition n’est pas entrée en vigueur en même temps que les autres. Elle est en effet plus sévère que les dispositions des lois anti-corruption de bien des pays de l’OCDE, créant potentiellement dans les faits un problème de compétitivité pour les entreprises canadiennes. Le report de l’entrée en vigueur viserait notamment, d’après les sources officielles, à donner aussi un temps d’acclimatation aux entreprises, afin qu’elles puissent prendre connaissance de ce changement important et mettre en place les mécanismes internes pour faire face à cette nouvelle infraction.

Il faut donc définitivement modifier ses pratiques à l’étranger, mettre des dispositions claires dans les contrats avec vos intermédiaires tels les agents, les distributeurs, les intégrateurs/revendeurs.

Il faut aussi prévoir des clauses claires à cet effet avec les employés étrangers de votre entreprise ou de vos sociétés apparentées, tout comme dans les contrats de travail avec vos employés ici, au Canada.

Et surtout, ne pas penser qu’en se couvrant les yeux, il n’y a pas de problème! Rappelez-vous qu’au-delà de l’illégalité de tels gestes, encourager cette pratique ne vous causerait assurément et de toute façon, que d’énormes problèmes. C’est un trou sans fond, où encore et encore plus d’argent vous serait demandé, sans garantie de résultats, avec des dangers de vous faire dénoncer, emprisonner à l’étranger, etc. Et qu’au-delà de ces problèmes majeurs possibles, la réalité désormais est bien là : il s’agit de gestes illégaux au Canada, pour lesquels les canadiens sont et seront poursuivis, condamnés et emprisonnés. 

© 2013, Me Micheline Dessureault

Joli-Cœur Lacasse, Avocats

www.jolicoeurlacasse.com

courriel

 

 

Affiliations internationales:  

Pannone Law Group, g.e.i.e.

Lawyers Associated Worldwide

Montréal, Québec, Trois-Rivières

Tel. : (514) 871-2800 - (418) 681-7007 – (819) 379-4331